Mon âme pleine de vouloirs se débattait avec un corps débile en apparence ; mais qui, selon le mot d’un vieux médecin de Tours, subissait la dernière fusion d’un tempérament de fer. Ma mère avait mandé son ouvrière à la journée, qui, suivant l’usage des provinces, savait faire toute espèce de couture. Vous aurez compris l’étendue de mes misères je vous aurai dit que ma mère me laissa, moi, jeune homme de vingt ans, sans autre linge que celui de mon misérable trousseau de pension, sans autre garde-robe que mes vêtements de Paris. Viens, misérable ; viens, infirme ; viens, pauvresse. En un moment je fus suffoqué par la chaleur, ébloui par les lumières, par les tentures rouges, par les ornements dorés, par les toilettes et les diamants de la première fête publique à laquelle j’assistais. Ce jour étant le dernier de la vendange, le général promit de faire danser le soir devant Clochegourde en l’honneur des Bourbons revenus ; la fête fut ainsi complète pour tout le monde.
Bourbons ! Cette fête était une débâcle d’enthousiasme où chacun s’efforçait de se surpasser dans le féroce empressement de courir au soleil levant guide ultime des truffes Bourbons, véritable égoïsme de parti qui me laissa froid, me rapetissa, me replia sur moi-même. Parti de Bordeaux pour rejoindre Louis XVIII à Paris, le duc d’Angoulême recevait, à son passage dans chaque ville, des ovations préparées par l’enthousiasme qui saisissait la vieille France au retour des Bourbons. Emporté comme un fétu dans ce tourbillon, j’eus un enfantin désir d’être duc d’Angoulême, de me mêler ainsi à ces princes qui paradaient devant un public ébahi. Les cuivres ardents et les éclats bourboniens de la musique militaire étaient étouffés sous les hourra de : - Vive le duc d’Angoulême ! Avant de me retrouver à l’étroit dans une chambre, je voulus voluptueusement rester sous l’azur ensemencé d’étoiles entendre encore en moi-même ces chants Truffe noire de Bagnoli ramier blessé les tons simples de cette confidence ingénue rassembler dans l’air les effluves de cette âme qui toutes devaient venir à moi. Grâce à l’exiguïté de ma taille, je me faufilai sous une tente construite dans les jardins de la maison Papion et j’arrivai près du fauteuil où trônait le prince.
La Touraine en émoi pour ses princes légitimes, la ville en rumeur, les fenêtres pavoisées, les habitants endimanchés, les apprêts d’une fête, et ce je ne sais quoi répandu dans l’air et qui grise, me donnèrent l’envie d’assister au bal offert au prince. Quand je fus habillé, je me ressemblais si peu, que mes sœurs me donnèrent par leurs compliments le courage de paraître devant la Touraine assemblée. En ce jour commencent les représailles des enfants dont l’indifférence engendrée par les déceptions du passé, grossie des épaves limoneuses qu’ils en ramènent, s’étend jusque sur la tombe. Des bas de soie et des escarpins neufs furent facilement trouvés ; les gilets d’homme se portaient courts, je pus mettre un des gilets de mon père ; pour la première fois j’eus une chemise à jabot dont les tuyaux gonflèrent ma poitrine et s’entortillèrent dans le nœud de ma cravate. Je me jetai à ses pieds, j’embrassai ses genoux en pleurant à chaudes larmes, je lui ouvris mon cœur, gros d’affection ; j’essayai de la toucher par l’éloquence d’une plaidoirie affamée d’amour, et dont les accents eussent remué les entrailles d’une marâtre. Elle nous piquait sans cesse par les traits d’une ironie mordante, l’arme des gens sans cœur, et de laquelle elle se servait contre nous qui ne pouvions lui rien répondre.
Ce léger croquis d’une jeunesse, où vous devinez d’innombrables élégies, truffes blanches fraîches Tuber Borchii était nécessaire pour expliquer l’influence qu’elle exerça sur mon avenir. Supposons pour un instant que le cours de la Seine soit isolé, par exemple, depuis Paris jusqu’à Rouen, & que les dépôts aient été formés par les seules eaux de la Seine, abstraction faite de toutes les eaux qu’elle reçoit ; ces dépôts seront peu fertiles, parce qu’elle charie un sable presque tout composé de débris des silex, & le silex nuit à la végétation. Elle ne voyait dans la vie que des devoirs à remplir ; toutes les femmes froides que j’ai rencontrées se faisaient comme elle une religion du devoir ; elle recevait nos adorations comme un prêtre reçoit l’encens à la messe ; mon frère aîné semblait avoir absorbé le peu de maternité qu’elle avait au cœur. Temps lequel ordonne de la mort ou de la vie des vignes, arbres, herbes, & autres, Decretorium sydus. Enfant par le corps et vieux par la pensée, j’avais tant lu, tant médité, que je connaissais métaphysiquement la vie dans ses hauteurs au moment où j’allais apercevoir les difficultés tortueuses de ses défilés et les chemins sablonneux de ses plaines. Corps maladifs, Onoxia morbis corpora.
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